Paroles de dimanches

Qui perd gagne

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Par André Myre

Paroles de dimanches

11 septembre 2024

Crédit photo : 2H Media / Unsplash

Le texte choisi par la Liturgie pour ce dimanche est le centre et le cœur de D’après Marc. L’évangéliste, qui cherche à ouvrir les yeux et les oreilles de son Église, la met carrément face au destin de Jésus et au chemin que ce dernier lui trace.

La péricope (Mc 8,27-35)est faite de quatre morceaux qui s’enchaînent : de l’image que les gens se font de Jésus, au destin de ce dernier, à la prise de bec entre Pierre et Jésus, à la mise au point finale de ce dernier. Une sérieuse affaire de vie et de mort. L’étendue de la rédaction de Marc manifeste l’importance qu’il accorde à la péricope.

 

8,27 Et Jésus sortit, et ses partisans aussi, vers les villages de Césarée de Philippe, et, en chemin, il interrogeait ses partisans, leur disant :

Les humains disent que je suis qui?

28 Eux, cependant, lui dirent, disant :

Jean l’Immergeur; et d’autres, Élie; d’autres, cependant, que tu es l’un des prophètes.

29 Et lui les interrogeait :

Vous, cependant, vous dites de moi être qui?

Ayant répondu, Pierre lui dit :

Toi, tu es le messie.

30 Et il les menaça afin qu’ils ne disent rien de lui à personne.

 

31 Et il commença à les enseigner :

Il faut que l’Humain souffre beaucoup, qu’il soit refusé par les anciens, et par les grands prêtres, et par les scribes, et qu’il soit tué et qu’après trois jours il se lève.

32a Et il parlait le Dire ouvertement.

 

 32b Et, l’ayant pris à part, Pierre commença à le menacer. 33 Lui, cependant, s’étant retourné, et ayant vu ses partisans, menaça Pierre et dit :

Va-t-en derrière moi, Satan, car tu n’es pas engagé vers les choses de Dieu mais celles des hommes.

34 Et, ayant appelé à lui la foule avec ses partisans, il leur a dit :

Si quelqu’un veut suivre derrière moi, qu’il se renie lui-même, et qu’il porte sa croix, et qu’il me suive.

35 Car qui veut sauver sa vie la perdra, cependant, qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera.

 

 

Traduction

 

Anciens, grands prêtres et scribes (v 31). Ce sont les trois composantes de la Cour suprême du pays, le Sanhédrin. Les «anciens» représentent les élites du pays : chefs de clan, grands propriétaires terriens, personnalités de premier plan; traditionnellement, ce sont ceux qui font et défont les dirigeants. À l’époque, le pays est gouverné par un «grand prêtre» installé par le préfet romain duquel il dépend; la première moitié du premier siècle a été marquée par la famille de Hanne, d’où huit grands prêtres successifs ont été recrutés; le pluriel «grands prêtres» fait sans doute référence à l’influence de la famille sur la direction des affaires du pays; celui qui présidait le Sanhédrin à l’époque de la condamnation de Jésus est Caïphe, qui fut grand prêtre de 18 à 36. Les «scribes» sont des hommes qui savent lire et écrire : grands fonctionnaires au service du gouvernement, lettrés qui font partie du large regroupement des prêtres et des lévites (Sadducéens), ou du mouvement réformiste des Séparés («Pharisiens»).

 Il se lève (v 31). C’est la première mention de la résurrection de Jésus dans l’évangile de Marc. Il est sous-entendu que Jésus s’est levé ou a été mis debout au shéol, la caverne souterraine où vivotaient les ombres des morts. Le Nouveau Testament n’a pas de terme technique pour dire la résurrection; il utilise les verbes courants (ou les noms correspondants) «se lever» ou «se réveiller».

Trois jours (v 31). La résurrection étant un événement qui s’est déroulé dans une autre dimension que celle de l’Histoire, elle ne peut être datée. Si «après trois jours» est une formulation marcienne, «le troisième jour» est une donnée très ancienne, qui fait partie de la tradition que Paul a reçue de la communauté chrétienne de Damas quelques années à peine après la mort de Jésus (1 Co 15,3-4). Certains en voient l’origine en Os 6,2[1], d’autres dans une conception courante à l’époque, suivant laquelle, après la mort, l’âme attendait trois jours avant de se séparer définitivement du corps[2].

Satan (v 33). Ce «Satan» n’est pas le serviteur de Dieu, chargé de vérifier l’authenticité des humains, dans la ligne du prologue de Job ou du récit du test passé par Jésus au désert (1,13). Le personnage a évolué de façon négative dans la tradition chrétienne, jusqu’à devenir l’Adversaire par excellence de Dieu. C’est le cas dans cette péricope.

Engagé (v 33). Le verbe «penser» signifie ici une façon de voir les choses qui provoque une façon de vivre conséquente.

 

Éléments d’Histoire

 

1. Jamais dans les évangiles Jésus n’entre-t-il dans une ville galiléenne telle que Césarée de Philippe, contrôlée par l’envahisseur romain à travers les dirigeants qu’il a mis en place. En Jean, Tibériade est nommée[3], mais Jésus ne s’y rend pas, et Sepphoris, située à quelques kilomètres de Nazareth n’a même pas droit à une mention dans les évangiles. Pour le Nazaréen, dans le régime de Dieu, il n’y aura plus de forces étrangères cantonnées dans sa contrée.

2. Jésus n’était pas homme à se préoccuper de ce que les gens pensaient de lui. Il faut aussi se souvenir que la seigneurie, avec les titres qui la signifient, est une donnée de foi qui est née après la mort de Jésus. Au cours de son parcours historique, celui-ci ne s’est jamais comporté comme un homme aspirant au pouvoir, mais plutôt comme un opposant ; de là la conviction chez plusieurs qu’il faisait partie de la lignée des prophètes. La perspective messianique est donc toute entière d’origine chrétienne.Elle a été pensée par les scribes chrétiens d’origine judéenne, tout imprégnés d’idéologie davidique, et a été propagée dans le monde méditerranéen par des envoyés tels que Paul. Mais elle est étrangère à l’histoire du Nazaréen qui s’opposait à la centralisation du pouvoir en Judée, à Jérusalem en particulier, et n’aspirait nullement à la royauté (Jn 6,15). Il ne parlait pas d’un roi ayant reçu l’onction (= messie) pour diriger le peuple dans le régime de Dieu, mais de douze hommes de la base, responsables de leur tribu respective[4].

3. Il est tout à fait possible que, compte tenu du sort qu’avait subi son maître, Jean Baptiste, Jésus ait pressenti qu’il ne pouvait espérer mieux. Cependant, la parole sur sa propre fin n’est pas une prédiction de sa part, mais une lecture chrétienne formulée à partir de la connaissance que ses partisans en avaient eue.

 

1. Identité de Jésus

(vv 27-30)

 

Au début de la péricope, Marc a reproduit les premiers mots d’un morceau traditionnel qui, par le nom d’une ville, faisait mention du titre d’Auguste, célèbre dirigeant de l’Empire, et du nom du roitelet qu’il avait mis en place pour gouverner la région. En y insérant la mention des partisans, il indique à ses lecteurs et lectrices qu’il a l’Église de Rome en vue.

Jésus est «en chemin». Les allers-retours sur le lac sont terminés. L’évangéliste a clairement en tête la dernière étape, Jérusalem, mais il se donne du temps pour l’apprendre à ses lecteurs. Et le chemin dont il parle est à la fois celui sur lequel le Nazaréen a jadis marché et celui sur lequel ses partisans sont invités à le faire à sa suite, le chemin de l’évangile.

Par deux fois, Jésus «interroge» ses partisans (vv 27b.29). De façon systématique, quand Marc utilise ce verbe, c’est que la personne ou le groupe qui pose la question est sceptique face à la réponse qui lui sera donnée[5]. Lectrices et lecteurs doivent donc être sur leurs gardes en lisant la suite. Dans un premier temps, les partisans méritent une bonne note pour leurs réponses : les gens situent Jésus dans la lignée des prophètes critiques du système. Mais eux-mêmes, qu’en pensent-ils? Seconde «interrogation» (v 20). Jusqu’ici, dans le cours de l’évangile, Marc n’a jamais explicité l’opinion que les partisans avaient de Jésus. En leur faisant poser directement la question de son identité par lui, Marc les force donc à se prononcer. Mais en mettant le verbe «interroger» dans la bouche de Jésus, il avertit ses lecteurs de garder une certaine réserve face à la réponse qu’il recevra.

Comme il se doit, c’est «Pierre», qui prend la parole, le premier à avoir été nommé dans la liste des Douze (3,16), à la fois porte-parole officiel des partisans et voix autorisée de l’Église de Marc. Et, coup sur coup, une double surprise attend lectrices et lecteurs. Alors qu’à la suite de l’«interrogation», on s’attend à une réponse plus ou moins déficiente, Pierre répond que Jésus est le «messie», un des deux vocables que l’évangéliste lui-même a utilisés dans le titre de son œuvre (1,1). Première surprise, Pierre mérite une bonne note! Mais ne voilà-t-il pas que, seconde surprise, Jésus réagit fort mal à la parole de Pierre. Il «menace» l’ensemble des partisans, tout comme il avait menacé, dans le premier récit de guérison de l’évangile, le souffle impur qui venait de la proclamer «saint de Dieu». Et il leur défend formellement de dire quoi que ce soit de lui à quiconque. Qu’y a-t-il donc de tellement problématique dans cette désignation qu’il ne faudrait pas l’utiliser? Jésus va lui-même entreprendre d’en dégager le sens à l’aide des trois morceaux qui suivent.

 

2. Jésus annonce sa mort

(8,31-32a)

 

Cette péricope contient la première de trois annonces de la mort et du relèvement de Jésus qui scandent la sous-section[6]. Marc les considère comme les trois étapes du processus au cours duquel Jésus cherche à guérir l’aveuglement des siens, ainsi que celui de son Église. Chaque fois, cependant, les trois annonces sont malheureusement suivies d’un passage qui manifeste l’incompréhension des partisans[7].

La rédaction marcienne est évidente dans le vocabulaire du cadre de la péricope (vv 31a.32a). On lui doit aussi d’avoir fait de «l’Humain» le sujet du morceau central. Marc est le seul à lier l’Humain aux souffrances de Jésus, et cela est au cœur de l’interpellation qu’il veut lancer à son Église.

Le reste du texte est probablement une tradition chrétienne ancienne qui visait à lever le scandale de la mort de Jésus, décidée par la plus haute autorité judiciaire du pays. Le sens du texte traditionnel repose sur le début et la fin : il fallait[8] que Jésus soit tué, et que le tué se lève. Son sort– et celui de tous ceux et celles dont la vie, avant et depuis, ressemble à la sienne – était de l’ordre de l’inévitable. Quand on comprend comment fonctionne le système global qui gouverne la vie des humains, quiconque écoute un peu sérieusement la Voix immémoriale qui s’exprime en lui doit s’attendre à de sérieux désagréments. Le «il faut», tout en cherchant à lever le scandale de la mort de Jésus, a aussi valeur d’avertissement : quiconque le suit doit envisager la perspective de subir le même sort.

La finale du texte traditionnel est typique d’une parole sur la résurrection. Dans l’ensemble du Nouveau Testament, l’utilisation du concept de résurrection se fait toujours dans un contexte de tension avec un aspect ou l’autre du système en place. C’est l’expression d’une confiance fondamentale dans le fait que le Dieu vivant ne laisse pas tomber celles et ceux qui témoignent de sa vision des choses dans l’Histoire. Au fond, le concept ne dit rien de ce qui se passe dans l’Au-delà, il porte plutôt un jugement de fond sur les humains : au jour où sera révélé le Sens de tout, femmes et hommes seront évalués en fonction de la voix qu’ils auront écoutée : Voix intérieure ou voix du système. Le concept de résurrection fait donc regarder davantage en arrière, dans l’Histoire, qu’en avant, dans un Au-delà inconnu.

À partir du v 31, au centre donc de l’évangile, le Jésus de Marc «commence» à dire clairement de quoi il en retourne. Et sa parole est un «enseignement», c’est-à-dire un événement qui a du sens, l’expression même de ce que la Voix cherche à signifier, soit le «Dire», le Sens de tout. En utilisant la tradition du v 31, Marc se trouve à faire entrer plusieurs premières dans son évangile : premier «il faut»; première mention des «souffrances» à venir de Jésus; première indication que le «refus» du système est incontournable et inévitable; première participation de l’ensemble du Sanhédrin, grand prêtre compris, dans la condamnation de Jésus; première indication que les autorités allaient le faire «tuer»; première utilisation du verbe «se lever» pour parler de la réplique de Dieu à la mort de Jésus; premier indice que le chemin sur lequel ce dernier s’engageait le mènerait à Jérusalem. Il y a là beaucoup de premières. Et tout cela, selon la rédaction de Marc, concerne «l’Humain».

Ce qu’il y a de significatif, dans cette utilisation par Marc du concept de l’Humain, c’est qu’il sert de correctif à la proclamation que Pierre vient de faire de la messianité de Jésus. Certes, il a ouvert son évangile en disant de Jésus qu’il est «messie, fils de Dieu» (1,1). Mais, par sa bouche, il dit «ouvertement», en plein milieu de son récit, que ce titre est inadéquat, et qu’il faut même éviter de l’utiliser (v 30), s’il n’est pas corrigé par le titre «l’Humain». Et il donne à ce dernier une caractéristique qui lui est propre, soit de référer aux souffrances ultimes de Jésus, souffrances auxquelles Dieu répondra par la résurrection. Il y a donc une note essentielle à la compréhension de Jésus comme messie : c’est que, tout seigneur soit-il, il ne fait pas échapper aux souffrances, de la part du système, ni à la mort. Cela, il fallait que Marc le dise ouvertement (v 32a), même s’il se doutait bien que son Dire serait mal reçu.

 

3. Pierre s’insurge et est réprimandé

(8,32b-33)

 

Marc a rédigé l’ensemble de la péricope dont le contenu dépend des passages précédents et est incroyablement rude. Avec Jésus, elle met en scène Pierre, non pas le simple partisan, si chef du groupe soit-il, mais le premier croyant, celui qui définit la foi de l’Église («sur ce roc, je bâtirai mon Église…[9]», celui qui vient de proclamer la messianité de Jésus (v 29). Or, réagissant à ce dernier qui vient d’annoncer le sort qui l’attend, le Croyant par excellence «menace» le «messie», comme s’il était sous l’empire de Béelzéboul, ainsi que le prétendaient les scribes descendus de Jérusalem (3,22). L’un vient de dire où le conduira la fidélité à sa mission, et l’autre l’accuse d’être un possédé.

Il faut bien le voir, l’évangéliste est en train de décrire l’état des relations entre le Christ et son Église! On en est rendu au point où le partisan, qui se prétend supérieur à son maître, doit être «menacé» à son tour et brutalement remis à sa place : «Va-t-en derrière moi, Satan!». Marc accuse son Église d’avoir pris parti pour le système, pour l’Empire, pour «les hommes», contre Dieu et contre Jésus. Il faut que l’enjeu soit suprêmement important pour qu’un homme – qui ignore être en train d’écrire un livre que les générations postérieures jugeront «inspiré»[10] – rédige une telle scène. Marc s’explique dans la péricope qui suit, en fonction de laquelle il a écrit son évangile.

 

4. Pour suivre Jésus

(8,34-35)

 

Dans cette péricope, qui conclut la première intervention de Jésus en vue de guérir ses partisans, Marc révèle enfin à ses lecteurs le point mort dans leur conduite, ce qu’ils se refusent à voir et donc à accepter. Ici s’explique le refus catégorique, de la part de Pierre, d’accepter le sort ultime de l’Humain. Ce n’était pas de la souffrance de Jésus qu’il ne voulait pas entendre parler, mais de la sienne propre. Or, comme Jésus va le lui montrer, il fait face à un profond dilemme, car refuser la mort de Jésus et ce qu’elle implique, c’est décider de devenir un homme mort. Si Pierre, qui exprime le point de vue des partisans – et donc de l’Église de l’évangéliste, – se comporte en Adversaire de Dieu, c’est qu’il y a quelque chose de fondamental dans la suite de Jésus qu’il ne voit pas, ou ne veut pas voir.

C’est ce que Marc cherche à montrer dans ce passage qui, selon lui, exprime l’essentiel du sens de la vie humaine. De sa propre main, il a formulé l’introduction en 34a, dans laquelle il place la foule ainsi que les partisans autour de Jésus : ce qu’il leur transmet les vise tous. Puis il se contente d’apporter deux précisions aux traditions qu’il rapporte. Dans la première, il veut qu’il soit clair que suivre Jésus, c’est marcher «derrière lui» (v 34b), l’avoir pour guide dans la vie. Dans la seconde, la plus importante, qu’il rédige en deux moments, il précise que suivre Jésus se fait en écoutant «la bonne nouvelle» (v 35) dont parle son évangile depuis le tout début (1,1).

La parole traditionnelle sur la suite de Jésus est lourde de sens (34b). Elle se comprend à l’intérieur de l’examen que devait subir quiconque voulait s’intégrer à la communauté. La personne devait être honnêtement avertie des conditions nécessaires à son entrée, et des conséquences possibles de sa décision. D’un côté, il fallait que la tâche prime sur le bien-être personnel : on devient chrétien pour faire comme Jésus. De l’autre, il importe de garder en tête l’aversion du système vis-à-vis des choix de Jésus et le genre de mort qu’il a réservé à ce dernier. Il est donc illusoire de s’engager sur ses pas, en s’imaginant échapper à la «croix» à laquelle mène le chemin. S’il n’y a pas la croix en vue, c’est qu’on n’est pas sur le bon chemin.

La parole sur le salut est le fruit d’une réflexion sur le sens de la vie (vv 35). Elle est fondée sur la conviction qu’en vertu de ses choix, Jésus a révélé ce qu’était une vie humaine authentique[11]. La vie est donnée pour que chacune et chacun devienne un authentique être humain («sauver sa vie»). Mais cela ne se fait pas n’importe comment. Chercher à devenir humain («sauver sa vie»), en étant un homme ou une femme de système, c’est passer à côté de soi («perdre sa vie»). Par contre, se réaliser à côté du système à cause de Jésus («perdre sa vie»), c’est devenir humain («sauver sa vie»). Il est impossible de devenir un être humain authentique en suivant les deux chemins en même temps.

 

Ligne de sens

 

Les neuf versets compris entre 8,27 et 35 sont tellement importants, aussi bien pour Marc que pour ses lecteurs et lectrices, qu’il convient de les mettre en relief. Aussi, le sens qui s’en dégage sera-t-il formulé sous forme de déclarations, lesquelles se passent de commentées.

1. La direction que le Jésus de Marc a donnée à sa vie est fondée dans l’expérience du Parent, telle que la source Q l’a formulée : ce dernier ne se dévoile qu’aux tout-petits (Q 10,21).

2. Pour s’engager à la suite de Jésus, il faut partager les vues du Parent et donc s’opposer à la gestion désastreuse de l’humanité et de la planète par les grands (dans tous les domaines, y compris le religieux) et accepter la responsabilité d’apporter une bonne nouvelle aux petites gens.

3. La trajectoire de Jésus, en paroles et gestes, révèle qu’il a constamment mis le système hors de lui, ce qui a entraîné sa condamnation à mort.

4. La «croix» est un type bien précis de souffrances, une conséquence inévitable de l’opposition au système, qui n’a rien à voir avec les souffrances normales de la vie.

5. Il est impossible de suivre Jésus sans que l’expérience de la croix soit présente.

6. Malgré que, dans ses fondements, le christianisme soit un mouvement à la pensée radicalement subversive, l’Église, qui est système, cherche-t-elle aussi à supprimer, d’une façon ou de l’autre, ceux et celles qui la contestent.

7. L’objectif de l’utilisation des concepts de «résurrection» ou de jugement par «l’Humain» n’est pas de provoquer la foi en des réalités qui adviendront dans l’Au-delà, mais de réhabiliter la vie de Jésus.

8. Les titres de Jésus ne sont pas des vérités à proclamer, mais des projecteurs qui éclairent le chemin de la vie.

9. Le Jugement n’est rien d’autre que la prise de conscience du sens de toute vie et de toutes choses et donc du sens de sa propre vie en lien avec les autres, dans la ligne du Sens.

10. Pour tout être humain, le Jugement a la proximité de sa propre mort; de là l’urgence d’œuvrer à devenir un homme ou une femme qui avance dans l’Histoire dans la ligne des poussées de son intériorité.

11. Selon l’évangile, les humains se sauvent eux-mêmes en perdant leur vie à la suite de Jésus. Le salut n’a rien d’une valeur ajoutée à la dignité humaine. L’être humain qui est ressuscité, ou qui est approuvé par l’Humain, ou qui passe vivant à travers la mort, est précisément la personne qui s’est réalisée dans l’Histoire.

12. Somme toute, l’évangile n’a pas été écrit pour révéler le cours de l’Après-vie, mais pour signifier l’urgence de devenir humain dès maintenant, pour le plus grand bien de l’humanité et de la planète.

Et cela suffit, même s’il n’y avait rien après – ce que nous ne saurions jamais –, parce qu’à suivre Jésus, nous aurons bien vécu.

 

Notes :

 

[1] Os 6,1 Marchons et retournons à Yhwh

car c’est lui qui a déchiré, et il nous guérira

il a frappé, et il nous pansera

2 il nous fera revivre dans deux jours

le troisième jour, il nous relèvera

et nous vivrons devant lui

[2] Jn 11,40 pourrait refléter cette idée : il n’y a plus d’espoir pour Lazare puisqu’il est mort depuis quatre jours.

[3] Jn 6,1.23 21,1.

[4] Voir la finale de la source Q (Mt 19,28/Lc 22,28.30), texte d’origine galiléenne, qui présente Jésus comme l’Humain (fils de l’homme) et non comme le roi davidique.

[5] Jésus interroge un démoniaque (5,9), un aveugle (8,23), ses partisans (8,27.29; 9,16.33), le père de l’épileptique (9,21).  Les partisans interrogent Jésus [7,17; 9,11.28.32(ils ont peur de le faire);10,10; 13,3].  Jésus est interrogé par ses adversaires [7,5; 10,2 (un test); 11,29; 12,18.28.34; 14,60.61; 15,2.4].  Pilate interroge un centurion (15,44).

[6] Voir 9,30-32; 10,32-34.

[7] Voir 8,32b-33; 9,33-40;10,35-45.

[8] Dans Marc, le verbe est au présent, un temps qui a valeur de futur, parce que la parole est mise dans la bouche d’un Jésus qui parle de sa mort. Mais le texte traditionnel était sûrement formulé au passé.

[9] Mt 16,18.

[10] Matthieu et Luc ont cependant jugé qu’il avait exagéré. Pour le premier, Pierre s’attend plutôt à ce que Dieu modifie le scénario annoncé par Jésus (Mt 16,22), tandis que le second passe tout simplement la scène sous silence.

[11] Les concepts traditionnels du jugement de l’authenticité humaine par «l’Humain», ou de la «résurrection» et de la «seigneurie» de Jésus, servent à justifier cette conviction. Et cette «conviction» est à proprement parler la foi chrétienne. C’est elle qui pousse l’être humain à devenir celui ou celle qui, du plus profond de soi, cherche à émerger.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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